Mamma Medea, bien joué...

Prix de la critique 2012

Nominations:
"Comédien", Yannick Renier
"Espoir féminin" Mathilde Rault
"Mise en scène" Christophe Sermet

***Prix de la critique "Comédienne" Claire Bodson***

Claire Bodson 

Par cette voix aux multiples tonalités, par toutes les fibres de son corps, sorcière et séductrice, fille, femme et mère, qu'elle hurle ou chuchote... elle est Médée, la Barbare de Colchide, torche de passion, de terreur: Claire Bodson, une authentique tragédienne traversée de failles très humaines. Le texte de Tom Lanoye et la mise en scène de Christophe Sermet ont déroulé le tapis rouge à ce talent hors normes, rompu à toutes les nuances du jeu. Claire pratique le grand écart entre Racine (Oenone dans «Phèdre», 1997, à l'Eden à Charleroi ) et Feydeau («Mais n'te promène donc pas toute nue» et «On purge bébé», au Théâtre Le Public en 2003), tous deux mis en scène par Frédéric Dussenne, l'un de ses maîtres dans la classe de Pierre Laroche au Conservatoire de Bruxelles. Avec lui, on la retrouvera dans «Maljoyeuse» (Veronica Mabardi, l'Ancre, 2004)), «Lorsque cinq ans seront passés» (Garcia Lorca, l'Ancre 1996) et dans un autre Feydeau mâtiné d'Offenbach, un hilarant «Fil à la patte» (Rideau de Bruxelles, 2001). La précision de son phrasé, son abattage joué et chanté lui valent un triomphe... renouvelé dans un tout autre style avec ces inusables «Mangeuses de chocolat» ourdies par Philippe Blasband, crées en 1996 et rejouées d'année en année. Et cette jeune femme et mère de famille, formée au métier d'institutrice, a aussi caressé l'oeil de la caméra décrochant d'emblée une nomination aux Magrittes pour «Elève Libre» de Joachim Lafosse : Claire Bodson y partage l'écran avec Yannick Renier, son partenaire dans la vie ...et son Jason dans «Mamma Medea»!. M.F.

 

Yannick Renier 

 

Au cinéma, les Frères Dardenne ont rendu son demi-frère, Jérémie, célèbre, pendant que Yannick accroissait sa notoriété grâce à un autre réalisateur belge, Joachim Lafosse, dont il semble être devenu l'acteur fétiche. «Nue propriété» en 2006, «Elève libre» en 2008 et maintenant, «A perdre la raison», une trilogie dramatique sans faute dans laquelle il prouve aussi son talent pour s'imposer face à de fortes figures féminines telles Emilie Dequenne dans «A perdre la raison». Ou, Claire Bodson, dans «Mamma Medea» puisque c'est bien l'acteur de théâtre, le Jason, puissant et désinvolte, qui est ici salué. Formé au Conservatoire de Bruxelles, Yannick Renier a très vite joué avec de grands metteurs en scène tels que Wajdi Mouawad, Frédéric Dussenne, Thierry Lefèvre ou Adrian Brine. Cette fois, c'est Christophe Sermet qui le dirige divinement dans un des événements de la saison théâtrale 2011-2012, l'incandescent et contemporain «Mamma Medea», dans l'adaptation de Tom Lanoye, traduite par Alain van Crugten, du grand drame racinien. D'une élégance à faire pâlir tous les Zoutois, veston beige et poitrail ouvert, dandy à souhait malgré sa barbe fournie, Yannick Renier pétrit son Jason d'arrogance, de nonchalance et de détachement. D'une grande puissance, son jeu s'impose peu à peu et descend dans les tréfonds de l'âme au cours du deuxième acte plus intense. Le face à face tranchant avec Médée trahit alors une insoutenable tension. Entièrement habité par Jason, tout en lui donnant un recul intriguant, Yannick Renier dote le fils d'Eson d'une réelle personnalité et tient le public en haleine. L.B.

 

Mathilde Rault 

 

Une saison tumultueuse et étonnante pour Mathilde Rault, incarnant tour à tour la rivale de Médée, Créuse, dans «Mamma Medea» de Tom Lanoye puis une anorexique angoissée dans « Je suis devant toi, nue » de Joyce Carol Oates. Dans «Mamma Medea», elle est celle par qui le scandale arrive, puisque Jason répudie Médée au profit de cette jeunesse, Créuse, fille du Roi Créon. Première étincelle qui mettra le feu de la jalousie dans l’esprit de Médée avec un passage à l’acte immédiat : une robe empoisonnée qui transformera sa rivale en torche. Rôle ingrat que celui de victime d’une folle qui tuera bientôt ses propres enfants. Mathilde résiste à la furie avec dignité. Dans «Je suis devant toi, nue» de Joyce Carol Oates, Mathilde est une anorexique au bord de l’explosion intime. Elle infiltre dans son personnage mystère et émotion, sans emphase, avec une retenue intense, aidée par la vidéo de Christine Delmotte qui rend visible le trajet de pensées délirantes. Deux rôles tragiques qui n’empêchent pas cette jeune Française de Belgique, sortie sauve et presque saine en 2010  du Conservatoire de Bruxelles de se présenter avec humour : Je suis ornithophobe et suis née le même jour que Carla Bruni. À la question « tu préfères faire un duo avec la première dame de France ou tourner dans un remake des Oiseaux d'Hitchcock ? » : franchement, mon cœur balance...Un rôle comique pour suivre ? C.J.

 

Christophe Sermet 

Avec le «Mamma Medea» de Tom Lanoye, le metteur en scène Christophe Sermet a trouvé un texte à la hauteur de ses attentes et de son talent. Cette Médée «flamande», ressuscitée grâce à l’écriture bouillonnante de l’écrivain Tom Lanoye, héritier d’Hugo Claus, est portée avec bonheur sur les planches grâce à une mise en scène vive, féroce et libre. Christophe Sermet, comédien et metteur en scène suisse, qui vit à Bruxelles depuis 19 ans après un passage en Italie, se sent décidément bien avec les auteurs contemporains : Hugo Claus, Tonino Benacquista, Juan Mayorga ou encore Hannokh Levin, pour n’en citer que quelques uns. Cette fois, avec «Mamma Medea» de Tom Lanoye, et sa traduction en français signée Alain van Crugten, Christophe Sermet focalise son spectacle autour du personnage de Médée, incarnée ici par Claire Bodson , sorte de barbare écorchée, sauvage. En face d’elle le metteur en scène, en formidable directeur d’acteurs, fait évoluer toute une série de personnages grandioses, à la fois humains et fragiles. La distribution impeccable et la mise en espace à la fois minutieuse et intelligente font de ce spectacle un des plus remarqués de la saison 2012 du Rideau de Bruxelles, D.C.

 

( © textes www.lesprixdelacritique.be)